Comment je me suis apaisée en tant que maman
Quand je suis devenue maman, je savais que les nuits seraient courtes, qu’il faudrait faire passer quelqu’un d’autre avant moi. Je me souvenais de ma soeur bébé, parce qu'on avait sept ans de différence, et je m'étais déjà occupé de bébés et d'enfants pendant mes années d'études à Paris, donc j'avais quand même une petite idée de ce à quoi pouvait ressembler le quotidien avec un petit.
Oui, mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit si difficile de gérer mes propres émotions. J'étais parfois complètement déclenchée par les comportements de mon enfant, même encore tout petit, finalement, parce que je mettais ses comportements un peu sur le même plan que ceux d'un adulte. Aujourd'hui, je pense que c'est un problème qui est culturel, et assez spécifique à la France. On entend partout des conseils et des jugements de type «il te cherche», «il est temps de couper le cordon», «il va te mener à la baguette», et j'en passe, qu'on entend pas ou beaucoup moins ailleurs, voire qui laissent certains étrangers complètement perplexes. Et pas que chez les jeunes générations. Je pourrais écrire un bouquin entier là-dessus (je le ferai peut-être un jour d'ailleurs), mais le fait est que notre enfant arrive dans un univers plein de préjugés, pas toujours très flatteurs pour eux.
Mais même au-delà de ça, je sentais déjà que je m'énervais plus que de raison, si on peut dire. Dans le sens où le niveau de ma colère n'était pas en phase avec le problème auquel je faisais face, et ça, je le pressentais même au milieu de ma propre colère. Je sentais qu'il y avait autre chose. Qu'on ne pouvait pas s'agacer autant juste pour des chaussures pas mises ou une pelote de laine emmêlée.
Ça m'est même arrivé parfois de ne plus me reconnaître, de me demander quelle mouche m'avait piquée, et d'avoir une partie de moi qui s'énervait, et l'autre qui s'étonnait même de me voir m'énerver comme ça. C'était assez fou, d'ailleurs, d'avoir comme ces deux niveaux de conscience parallèles. Et ça m'est arrivé d'être très dure avec mon enfant, et de m'en rendre compte au moment où les mots sortaient de ma bouche. Mais en fait, ce n'était plus mes mots à moi. C'était ceux que j'avais entendu quand moi j'étais petite. Ceux qui m'avaient fait mal à moi quand j'étais petite. C'était comme si quelqu'un d'autre parlait à travers moi.
Et là, je me suis dit qu'il fallait que ça change. Que j'avais pas envie d'être cette mère-là. Entendons-nous bien, je ne hurlais pas sur mon enfant H24, j'étais la plupart du temps patiente et, j'ose le croire, aimante et pédagogue, mais parfois, j'étais juste dépassée par ma colère ou mes angoisses et je n'aimais pas cette version-là de moi. Je n'avais pas envie que mon enfant ait peur de moi, même juste parfois.
Alors j'aurais sans doute pu laisser ce voile sur cette partie de moi. Me dire qu'il fallait simplement serrer la vis, être plus stricte, y aller plus franco dans le rapport de force et imposer ma supériorité d'adulte pour montrer «qui est-ce qui commande ici». J'aurais pu me raconter cette histoire selon laquelle j’avais un enfant «difficile», un «enfant roi» ou un «enfant tyran» (remarquez qu'on y va crescendo dans les appellations. Y a-t-il une limite à la diabolisation de l'enfance dans certains milieux réacs français, qui témoigne d'ailleurs de leur impuissance à régler des problèmes qu'ils alimentent eux-mêmes en pensant les solutionner ?)
Bref, non, j'ai pas eu envie de rejeter la faute sur mon enfant. À la place, je suis allée regarder en face comment ça s'était passé pour moi, et quels avaient été les résultats. Ce serait mentir que de dire que ça s'est passé en toute légèreté, mais je ne regrette rien de ce parcours.
Parce qu'aujourd’hui, je peux dire que j’ai pacifié mon rapport à mon enfance. J'ai accepté ses hauts et ses bas, ce qu'elle a eu de beau et ce qu'elle a eu de difficile. J'ai arrêté de minimiser, et j'ai réalisé qu'en fait il y avait des trucs qui n'allaient pas du tout. Que je ne méritais pas certaines choses qui m'avaient été faites ou dites, même si c'était considéré comme banal, normal ou même nécessaire à l'époque. Même si on m'avait croire que c'était de ma faute ou que c'était pour mon bien, même si oui, il y avait pire. On peut toujours trouver pire, mais si on commence à placer le curseur là… En tout cas, c'est pas là que j'avais envie de placer la barre pour mes enfants.
Maintenant, j'ai appris à ne plus prendre personnellement le comportement de mes enfants, à savoir ce que je pouvais attendre d'eux en fonction de leur âge, de leur état émotionnel et du contexte. J'ai appris à reconnaître les moments où l'émotion venait du passé et pas du présent, je ne laisse plus les attentes du monde extérieur prendre le pas sur ce qui me semble bien pour eux, et je ne laisse plus les autres brouiller mon intuition à moi.